MICROFILTRATION À LA FERME L'usage interdit du filtre à lait fait encore débat
Falsification pour les uns, interdiction abusive pour les autres : la microfiltration, qui masque le niveau réel de cellules somatiques, divise.
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L'usage d'un filtre à lait dans la salle de traite est un sujet sensible, difficile à éclaircir. Il s'agit d'une microfiltration de 8 microns, capable de retenir 50 à 60 % des cellules somatiques du lait. Les filtres en question, d'un coût d'environ 3 000 €, sont une béquille opportune pour les éleveurs menacés par le seuil d'arrêt de collecte de 400 000 cellules. Un certain vide juridique entourait son utilisation en ferme. Mais des poursuites pénales sont en cours avec pour chef d'accusation, la falsification de denrée alimentaire : le filtre modifiant la composition du lait, selon les tribunaux. Quelque deux cents installations ont ainsi été saisies. Un arrêté du 9 novembre 2012, interdisant toutes filtrations du lait cru retenant des particules inférieures à 70 microns, a montré la détermination des pouvoirs publics. Un recours en Conseil d'État pour annuler cet arrêté a été déposé par un éleveur, avec le soutien de la Confédération paysanne. Il a récemment été rejeté. Les filtres sont donc bel et bien interdits. Mais les partisans s'organisent.
70 millions d'euros pour les laiteries
Un petit nombre d'éleveurs regroupés en association(1) contestent toujours cette interdiction. « Les laiteries filtrent le lait à la sortie du camion. Pourquoi les éleveurs ne pourraient-ils pas le faire à la sortie du tank ? Et sur la base de quelles données scientifiques ? Car nos filtres n'altèrent en rien les qualités du lait. D'ailleurs, les vendeurs directs ont l'autorisation de microfiltrer leur lait », argumente André Le Du, producteur de lait bio dans le Finistère. Les partisans du filtre mettent en avant ces éleveurs empêtrés dans des problèmes récurrents de cellules avec, à la clé, de lourdes pénalités. « Nous parlons de cellules somatiques, pas seulement des leucocytes. Or, les plans d'accompagnement des éleveurs plombés par les cellules s'intéressent uniquement à la prévention des mammites. Les causes peuvent être ailleurs (géobiologie, courants parasites, etc.) sans que nous trouvions de solutions autres que la filtration », poursuit André Le Du. L'administration lui répond que le lait filtré est assimilable à un produit falsifié. Le spécialiste de la qualité du lait que nous avons interrogé pointe l'altération des laits à cellules : « Une quantité importante de cellules signe toujours une inflammation de la mamelle. Et cette inflammation modifie sensiblement la compositiondu lait avec la présence de protéines sériques, d'enzymes, etc. On observe aussi une dégradation de la caséine. Quant à la microfiltration, je doute qu'elle n'ait aucun effet sur la lipolyse de la matière grasse. » Le filtre à lait ne serait qu'un cache-misère ? À l'interprofession, on condamne son usage qui remettrait en cause tous les efforts entrepris en faveur de la qualité du lait. Derrière, les enjeux sociétaux sont énormes en termes d'assurance pour le consommateur et de préservation du bien-être animal. Mais les partisans du filtre à lait ont d'autres soupçons. « Les pénalités pour dépassement du niveau de cellules rapportent quelque 70 millions d'eurosaux laiteries françaises. La perte est encore plus lourde pour les éleveurs qui jettent du lait, réforment des vaches prématurément, etc. Et quel risque sanitaire prenons-nous à filtrer puisque les laiteries le pratiquent en amont des transformations du lait ? », interroge André Le Du.
DOMINIQUE GRÉMY
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